Sept pilotes dont trois femmes plus trois passagères, au total, dix aventuriers, arrivés de l’île de la Réunion pour sillonner le Nord Vietnam sur une boucle Hanoï-Sapa-Ha long-Hanoï : le pari, était audacieux compte tenu du moyen de transport utilisé, la moto biélorusse Minsk, simple 125 centimètres cube à deux temps, sur des routes limitées à 50 kilomètres/heure. Assez rustique d’apparence, cette moto s’est néanmoins révélée fiable sur les 1922 kilomètres parcourus.
Pays d’eau et de montagnes, le Vietnam est aussi une terre où le deux- roues est roi. La voiture particulière reste un luxe réservé aux plus riches et aux officiels. Chaque famille s’endette pour s’offrir un cyclomoteur, qui servira à transporter tout et n’importe quoi, des familles entières de trois à cinq personnes mais aussi des animaux (cochons, poules, canards…), frigos, meubles, et marchandises de toutes sortes. Découvrir ce pays avec son moyen de transport le plus populaire est idéal pour voyager en symbiose avec les habitants. Nous avons bien souvent créé l’événement lors de nos différentes haltes dans les villages, aux cafés ou épiceries locales. Outre le fait qu’il est encore rare de voir des touristes voyager à moto, rares aussi sont ces motos Minsk, pour les Vietnamiens qui roulent principalement en scooter. A Hanoi- point de départ de notre expédition et grande ville de la région Nord (6 millions d’habitants), qui correspond à ce que les Français de l’époque coloniale appelaient le Tonkin – la circulation nous laisse perplexes : des flots entiers de scooters et de vélos se croisent dans tous les sens, avec toutefois une grande harmonie et une habitude qui expliquent le faible nombre d’accidents. En dehors des grandes villes, le principal danger reste les traversées de vaches et de buffles, que les paysans accompagnent d’une rizière à une autre. L’accueil et le sourire des personnes rencontrées nous marqueront tout au long de ce séjour, à la rencontre des minorités ethniques. Les rizières et les montagnes nous offrent, dès que nous quittons la monotonie des grands axes routiers, des paysages verdoyants. L’enchantement nous gagne dès notre arrivée au lac Babe, près d’un village Thaï. Ce sera notre première halte « chez l’habitant », dans une case sur pilotis surplombant une splendide rizière. Nous partageons notre premier verre d’alcool de riz avec notre hôte, tradition à laquelle nul ne peut déroger.
Le réveil est matinal et le café pris sur la terrasse à la vue féérique, pousse à la contemplation. Deux cents kilomètres nous attendent, dont les premiers sont magiques sur une route de montagne bordant des rizières. Nous déjeunons à Vinh Loc, dans une cantine populaire, où nous observons la technique de la pipe à bambou, moment de détente des hommes Vietnamiens après un bon repas.
Notre seconde nuit chez l’habitant, dans une famille « Dao » (ethnie minoritaire à pantalon blanc) est mémorable. Quelques bûches brûlent au centre de la grande case sur pilotis et nous apportent chaleur et convivialité. L’alcool de riz coule encore à flots ce soir mais nous ne pouvons refuser cette joie au maître de maison…Le surlendemain, nous goûtons aux plaisirs de la piste, à travers des rizières où les villageois s’activent, offrant à notre curiosité de belles scènes de vie. C’est de nuit que nous arrivons à Bac Ha, ville de montagne perchée à 1000 mètres d’altitude, où nous apprécions cette fois le confort du deuxième « meilleur hôtel de la ville ». Ce repos est toutefois perturbé par la mise en route du haut parleur officiel, qui diffuse bruyamment le journal, juste après-une petite musique douce, destinée à réveiller toutes les âmes du quartier. Dès 8heures, nous enfourchons nos motos, pour deux heures de route dans la brume, jusqu’au marché Hmong de Coc Ly, étape incontournable avant la grande ville touristique de Sapa. Avant d’atteindre cette étape du soir, nous nous arrêtons à la frontière chinoise. La Chine est juste devant nous, seul le fleuve Chay song nous en sépare. En face nous apercevons les buildings et inscriptions chinoises, qui contrastent avec la rive vietnamienne où nous nous trouvons.
Nous passons deux jours à Sapa, à la rencontre de ce peuple des montagnes, vêtu de magnifiques costumes traditionnels colorés.
La route qui nous mène aux étapes suivantes, Mu Cang Chaï, Nghia Lo est de toute beauté, avec ses rizières en escaliers. Le lendemain, notre émerveillement se poursuit lorsque nous découvrons la petite ville de Phu Yen et ses alentours : nous sommes en pleine récolte de riz et dans les rizières à perte de vue qui bordent la ville, des centaines d’habitants s’affairent sous un ciel magnifiquement ensoleillé qui illumine ces champs immenses.
Les deux jours suivants nous permettent d’atteindre Ninh Binh et notre ville étape Tam Coc, située dans ce que l’on nomme la « baie d’along terrestre ». Les nombreuses collines calcaires donnent à ce site un aspect mystérieux, empreint de sérénité, avant-goût de la célèbre baie d’Along, notre étape suivante, à 200 km d’ici. Il nous faut cette fois partir à 7heures du matin pour arriver à l’embarcadère avant 13heures. Des centaines de jonques attendent les touristes pour un circuit de deux jours/une nuit bien rôdé. Ce site, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, reste enchanteur malgré tout et le plongeon depuis notre embarcation dans mer de Chine, un vrai délice après tous ces kilomètres parcourus.
Il est temps de rentrer sur Hanoï. Nous avons encore à l’esprit ces cases en bois sur pilotis avec leurs toits en paille de riz, qui tranchent avec les villas urbaines colorées longilines à deux ou trois étages (coût du terrain oblige), qui bordent la route jusqu’à la capitale. Elles ont en commun cependant d’arborer le drapeau national, rouge, centré d’une étoile dorée. Le Vietnam dont l’histoire douloureuse est assez récente est resté très patriote. Pays en pleine mutation, le Vietnam conserve le paradoxe du développement d’une économie capitaliste aux côtés d’une idéologie marxiste, qui en fait l’une des dernières terres communistes au monde. L’oncle Hô, comme on le dit du père de la nation, son libérateur, Hô Chi Minh, restera pour toujours chers au cœur des Vietnamiens. Depuis 1986, les Vietnamiens ont de nouveau accès à la propriété et aspirent à une vie meilleure, avec un travail.
Mais l’accueil, la spiritualité, le culte des ancêtres restent pour ce peuple, riche de 83% de jeunes, des valeurs très présentes. Chaque maison possède son autel. La principale religion est le caodaïsme, qui intègre le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme. Les Vietnamiens tirent de cette spiritualité très marquée leur force morale qui les a soutenus au cours de leur longue et tragique histoire.Nous quittons à regret ce pays attachant, avec en mémoire plein de couleurs, de saveurs et de sourires d’enfants rieurs, déterminés à revenir au plus vite.
Sophie Vallée
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